Portraits croisés

▲ ATELIER RAP

[2021] Rue du Monténégro, cour des anciens bureaux d’Axima. On entend des basses qui vibrent. Il est 17h30, l’atelier MTV* vient de commencer. Les jeunes sont assis.e.s autour de tourets recyclés en tables pour l’occasion (à 1m50 les un·e·s des autres, on ne plaisante pas avec ce satané covid) car c’est l’heure des tests sons et du briefing de Grace, qui les encadre depuis plusieurs mois.
Ici, (presque) pas de trainings adidas et de battles car la confrontation, c’est avant tout avec soi-même. Se dépasser, investir l’espace public par sa présence et sa voix, travailler sa gestuelle, poser des mots sur sa vision du monde et harmoniser le tout, c’est l’objectif de cet atelier de Texte, Musique et Vidéo.

On se rend vite compte de la diversité des profils, avec des participant·e·s de 13 à 24 ans, tou·te·s avides de se mettre en scène et impatient.e.s de se retrouver en studio d’enregistrement dans le courant du mois d’avril.

 

 

Le tournage de clips est également prévu avec les trois autres animateurs, et je repère déjà Friedrich (15 ans) qui fait des allers-retours avec sa caméra dans les locaux pour trouver le fond de son prochain plan. Son truc à lui c’est la vidéo, et il me glisse entre deux repérages que « par contre le chant, c’est pas vraiment ça ». Il est toujours à la recherche de nouvelles techniques, veut apprendre Photoshop et se greffe joyeusement à tous les projets audiovisuels qu’on lui propose. Il a d’ailleurs composé la musique d’un clip que le groupe a réalisé plus tôt dans l’année, rien que ça.

C’est au tour de Zack, alias RF (24 ans) de lancer sa voix sur l’instru. Il est comme un poisson dans l’eau au micro, a commencé à faire du beatbox dans son lycée au Maroc mais écrivait ses textes caché jusqu’au jour où il s’est fait gauler « Mon père m’a forcé à choisir entre le rap et l’école. Il a déchiré mes feuilles en me disant ‘d’abord tu finis l’école, après tu fais ce que tu veux’. J’ai dû arrêter le rap pendant 2 ans. Quand j’ai repris, j’ai commencé à rapper sur des sujets de société car c’était la merde dans mon pays. J’écrivais pour soigner mes problèmes comme ceux des autres, pour donner des idées aux gens sur la façon d’améliorer nos conditions de vie.»

Zack est arrivé en Europe il y a 3 ans et ce qui l’intéresse ici, c’est ce mélange des langues dans le rap, la possibilité de combiner l’arabe, le français, l’anglais ou encore rapper en espagnol comme Gemma, une des deux filles qui participe à l’atelier.

 

 

Zack met l’accent sur le respect et l’écoute dans ses échanges avec Grace :

« Il se met à notre niveau. Ça me donne du courage. J’ai l’impression d’avoir grandi grâce à cet atelier. Le plus intéressant, c’est d’être avec des gens qui ont toutes ces influences extérieures et qui se mélangent. »

Là où l’expression au quotidien est rendue plus compliquée encore par le contexte sanitaire, l’atelier est devenu leur bulle d’oxygène où s’époumoner n’est pas mal reçu, bien au contraire.

« J’ai l’impression d’avoir grandi grâce à cet atelier. Le plus intéressant, c’est d’être avec des gens qui ont toutes ces influences extérieures et qui se mélangent. »

Comme Zack / RF qui est passé en fin d’année sur Radio Panik, la musique de certain·e·s a déjà été diffusée auprès d’un public, mais l’opportunité d’enregistrer en studio est pour la plupart une première.

Olivier, alias OLV (16 ans) : «  J’avance pas mal dans ma démarche. J’espère que je vais cartonner au studio. Ça va faire trois ans que je rappe et que j’écris, mais ici, j’apprends à mieux connaître ma voix. Dans ce projet, on travaille mes notes graves et c’est génial. »

 

 

OLV est très jeune mais frappant de maturité, tant dans l’attitude qu’avec cette fameuse voix qu’il cale sur le beat.

« J’ai commencé le rap à la suite d’une dépression de trois mois. J’étais dans un centre pour jeunes et j’avais un éducateur qui faisait du rap. Il m’a montré comment trouver des instrus sur youtube, comment écrire mes textes. Il m’a inspiré. Tout comme des rappeurs tels Nekfeu, Alpha Wann, ou encore Eminem. Dans mes morceaux, je parle beaucoup de mon vécu, des choses que je vois qui me marquent. Comme avec la chanson créée ici, qui parle d’amour, d’une histoire réelle. J’écris la nuit, ça me permet de me libérer complètement. »

« Dans mes morceaux, je parle beaucoup de mon vécu, des choses que je vois qui me marquent. Comme avec la chanson créée ici, qui parle d’amour, d’une histoire réelle. »

 

L’atelier est un tremplin qui leur a permis de réveiller une sensibilité qu’on se donne d’habitude tant de mal à camoufler, et de passer à la vitesse supérieure en matière de confiance en soi.

Du haut de ses quasi-quatorze ans, Marguerite griffonne discrètement dans un petit carnet quadrillé des bribes de paroles, en attendant son tour. C’est la seule du groupe qui a opté pour le chant.

« Mon texte parle d’une balade en forêt, où on croise une libellule verte et bleue aux ailes transparentes. Ça me plait de produire quelque chose de différent du rap classique. J’écris d’abord les textes et j’essaie ensuite d’inventer une mélodie. Je chante depuis que je suis toute petite, mais en public, c’est la première fois. »

 

 

Grace l’appelle depuis la cour du bâtiment, qui leur fait office de scène aujourd’hui. On décèle un sourire sous son masque : « Honnêtement ? Ce n’est pas si stressant que ça au final. »

L’atelier est pour elleux une occasion de se dévoiler, de laisser au placard craintes et incertitudes. Leurs productions ne sont pas d’une rigueur militaire, mais Grace les reprend avec patience et pédagogie, n’hésitant pas à se mettre en scène sur ses propres chansons pour faire la démonstration d’une rythmique, ou recommencer l’instru encore et encore jusqu’à ce qu’ensemble iels aient trouvé l’intonation qui fonctionne.

Pas besoin de punchline ou d’un mic drop pour se démarquer, chacun·e débarque ici avec ses influences, son vécu, et l’envie de se dépasser. La singularité du projet MTV, c’est de faire passer l’expression par un art rarement mis en valeur par les circuits culturels… Et on devine déjà germer des graines de stars.

 

Nine Louvel

 

*Une collaboration entre le BRASS, la Maison des Cultures de Saint-Gilles et la maison des jeunes Le Bazar