Ouvrir les portes

▲ Street art avec des habitant·es

[2025]

Et toi, si tu toquais à une porte avec un peu d’anxiété, comment aimerais-tu être accueilli·e ? Qu’est-ce qui te permettait de te sentir bienvenu·e ? Comment voudrais-tu qu’on t’ouvre la porte ?

Chaque année, les affiches du BRASS sont créées dans une dynamique collective par des habitant·es de Forest, accompagnée·es par une ou des artistes. Cette année, c’est Lucile Van Laecken qui propose de partager sa pratique du street art avec un groupe de sénior·es auxquel·les se sont jointes, via Convivial (cette asbl travaille pour l’intégration de personnes ayant récemment obtenu le droit d’asile) quelques personnes récemment arrivées en Belgique.

Ça se passe au service intergénérationnel de la commune de Forest. Lors d’un premier atelier, on commence par un tour de table. Chacun·e exprime la manière dont il ou elle aimerait être accueilli·e quelque part… : «Avec un grand sourire», « avec des câlins », «envie qu’il y ait des animaux quand on m’ouvre la porte», «des enfants», «de l’humour», «des couleurs», «des choses à manger», «un verre de champagne»…

Puis c’est parti pour de la création en grand format : on colle et on peint des portes sur des nappes en papier de 2 mètres de long. Dehors, au soleil, Isabel, Hortense, Noureddine, Salim, Talia, Nadiejda (et d’autres) prennent successivement la pose dans un studio photo de fortune, jouant une situation où on ouvre la porte de sa maison (avec joie, excitation ou étonnement selon l’humeur !).

On imprime les fragments de photos sur des feuilles A3 et on reconstitue les personnages, un puzzle à échelle humaine.

Autour de l’image noir et blanc collée, les participant·es, seule·s ou à plusieurs, dessinent une porte inspirée d’images de portes du monde entier. Aida est mexicaine, elle prend modèle sur une porte bariolée qui lui rappelle l’univers de Frida Kahlo. Elizabeth est venue au 2ème atelier avec des plantes qu’elle trempe dans la peinture verte pour pimper sa porte avec une touche végétale. Odete et Nour ont dessiné un ciel et un soleil à l’intérieur de leur maison. En guise de dernière touche, Odete colle la photo d’un chien que Lucile a imprimé. Ce chien ressemble trait pour trait (poil pour poil) à Wilson, qui a été son compagnon pendant des années.


On n’a plus revu Dasha et sa mère depuis le premier atelier. Mais Estelle et Cécile se souviennent qu’elles avaient fait un dessin préparatoire avant d’attquer le grand format. Elles fouillent dans une pile de papiers, retrouvent le prototype et se mettent au boulot à grande échelle, en essayant de reproduire le modèle de la manière la plus fidèle possible.

Au fil du processus, des récits de vie se déplient, et on se rend compte qu’ici, presque tous les parcours s’inscrivent dans des trajets de migration, d’exils (plus ou moins récents : des femmes arrivées du sud de l’Europe dans les années 1960 aux réfugiées ukrainiennes qui ont fait le trajet vers la Belgique il y a moins d’un an). Odete relate le sentiment de liberté grisant qui l’avait saisie lors de son arrivée en Belgique dans les années 1970, alors qu’elle venait de quitter le régime dictatorial portugais.

Isabel a, quant à elle, laissé derrière elle une famille et une éducation qui la rendaient malheureuse dans l’Espagne du général Franco à la fin des années 1960. Elle s’est sentie globalement bien accueillie en Belgique, mais évoque aussi les portes qu’elle a dû claquer, quand on la payait une misère en tant que travailleuse étrangère. Aujourd’hui, à 70 ans passés, elle rappelle, avec un sourire chaleureux, que nous sommes tous des immigré·es, et, entre 2 collages de papier orange fluo, affirme : « mon envie d’ouvrir ma porte, d’être ouverte à l’humain et de donner de l’amour sont toujours extrêmement fortes. »

Il y a aussi Liliana, qui a quitté le marasme politique de la Colombie en 1989, et qui, une fois en Belgique, a dû attendre 10 ans avant d’obtenir des papiers. Liliana parle de ce que les frontières ont d’absurde : « Pourquoi créer toutes ces divisions ? Nous venons tous de la pachamama, comme on dit chez nous en Amérique Latine. Nous sommes des enfants de la terre-mère ! ».

Après une dizaine d’heures de travail en intérieur, de litres de café au lait, de découpes, de collages et de peinture, les images sont prêtes. On organise 2 sorties pour aller, armé·es nos gros pinceaux à colle, tels des professionnel·les du papier peint, plaquer les images sur des murs de Forest. Liliana a même annulé son rendez-vous médical pour pouvoir être de la partie. Jeanne conduit toute la troupe dans la « Forest Mobiel », 6 lieux disséminés du haut au bas de la commune. On se relaie pour déplier la table à tapisser, étaler la colle sur le paier et le mur, se reculer de quelques mètres pour inspecter l’horizontalité, et monter la garde pour prévenir quand un vélo déboule à toute vitesse vers notre espace de travail joyeusement chaotique.

La pluie viendra petit à petit effacer ces oeuvres éphémères, mais pendant cet été 2025 les enfants de la terre-mère collés sur les murs ouvrent en permanence leur porte aux passant·es dont ils croisent le regard.

 

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Oeuvres de :

Aida, Alyssa, Andrée, Benoît, Cécile, Christine, Dasha, Elida, Elisabeth, Elisa, Estelle, Fatoumata, Gabriela, Hortense, Isabel, Liliana, Louise, Lucile, Marianne, Monique, Nadiejda, Natalia, Odete, Rosalba, Rozenn, Salim, Souaibou, Thalia, Terba

Un projet produit par le BRASS – Centre culturel de Forest, en collaboration avec le service intergénérationnel de la commune de Forest et l’asbl Convivial.

Un grand merci aussi aux asbl F.O.L.I.E.S, Une maison en Plus et à la commune de Forest pour nous avoir prêté des murs !

📍 Emplacement des oeuvres à Forest :

Rue du Charroi 35 (asbl Convivial)
Rue Marconi 41 (service seniors de la Commune de Forest)
Square du Bia Bouquet (service seniors)
Avenue Wielemans Ceuppens 1 (ancienne banque, à l’angle avec l’avenue Van Volxem face au Wiels)
Bd de la Deuxième Armée Britannique 27 (asbl Une Maison en Plus)
Rue saint-Denis (derrière service senior Pia/Divercity)