Performances in situ

▴ Rencontre avec Sophie Sénécaut

[2016] Depuis 2013, le BRASS propose Crash Test, des soirées dédiées à l’art performance. Le principe a évolué au fil des saisons, jusqu’à prendre sa forme actuelle, où des artistes sont invités à s’approprier le BRASS pour y construire une proposition qu’ils livrent au public à l’issue d’une semaine de création in situ. En mai dernier, la comédienne Sophie Sénécaut s’est prêtée au jeu. Retour sur expérience.

Rendez-vous avec Sophie Sénécaut devant la tête géante qui veille sur le Parc de Forest*. Sophie vit à quelques pas d’ici. Dans la vie, comme on dit, elle fait du théâtre. Depuis une dizaine d’années. Lorsqu’elle a été invitée par Mathias Varenne, curateur du projet Crash Test, à venir expérimenter au BRASS, elle n’a pas même envisagé d’y participer seule. Pour elle, l’aventure artistique se pense comme une aventure collective : « Je considère la création comme une forme de tressage ou comme une broderie, où l’on fait se croiser plusieurs histoires personnelles. »

Sophie évoque cette semaine de travail, entourée de six acteurs et amis, comme une mini-résidence, où les artistes peuvent expérimenter des collaborations inédites, et approfondir des questions qui étaient déjà présentes dans leur travail.

« J’ai profité de Crash Test pour creuser des problématiques assez personnelles liées à l’identité, au métissage, au territoire… »

Elle sort de son sac une farde qui rassemble des textes et des images dont elle s’était armée au début de sa semaine de création collective. Des documents qui la nourrissent, la guident. Non pas des textes voués à être dits lors de la performance, mais des idées qui l’accompagnent, des pensées tutélaires. En tête de ces textes, un extrait d’un essai d’Edouard Glissant Introduction à une Poétique du divers. Dans ce texte, Glissant reprend le travail des philosophes Deleuze et Guattari pour envisager la notion d’identité comme un rhizome qui se construit horizontalement, plutôt qu’une racine qui évolue verticalement.

« C’est une notion qui résume beaucoup ce que je suis, qui résume beaucoup Bruxelles, et qui résume l’état du monde… Parfois, les gens croient en savoir plus sur moi quand ils me voient, que je n’en sais moi-même sur moi : « Elle vient d’Afrique, ceci, cela… ». C’est extrêmement asphyxiant. Je n’ai pas du tout le sentiment de me dresser verticalement au dessus d’une racine. Je suis constituée de plein de choses. »

Au BRASS, Sophie et son équipe ont choisi la salle des cuves. Ils ont travaillé de manière instinctive, en s’appuyant sur une musique du chanteur syrien Omar Souleyman. « C’est une chanson d’amour, une musique festive, amoureuse, électrisée, qu’on a décortiquée jusqu’à n’en garder pratiquement qu’une boucle. »
Le vendredi soir, dans la salle des cuves, on a pu voir un portrait vidéo projeté dans la salle obscure, entendre cette boucle musicale et voir sept personnes danser sur un tapis, pendant une quinzaine de minutes, sans paroles. « Nous avons fait des propositions très personnelles. La danse renvoie à un univers qui n’est pas verbal, qui est assez abstrait. »
Le public, au cours de la soirée, a pu ainsi naviguer entre cette performance, et quatre autres propositions artistiques jouées dans les différents espaces du BRASS.
Dans sa farde, Sophie soulève une photo de danseurs des années 1960, et sort une feuille sur laquelle est recopié un morceau d’une lettre de Tchekhov à une amie. Elle le lit à haute voix : « À quoi bon expliquer quoi que ce soit au public ? Il faut l’effrayer et c’est tout, il sera alors intéressé et se mettra à réfléchir une fois de plus. »
Sophie a toute confiance dans l’intuition et l’émotion du spectateur. « Notre démarche n’était pas expliquée. Si le public ne comprend pas ce que tu as voulu dire, du moins, quelque chose se passe. Car il y a dans la performance un geste offert vers l’autre. Comme une parole qui ne passe pas par une grammaire ou une orthographe. C’est ce que j’aime, avec la performance : c’est comme un langage parallèle, qui n’enferme pas autant que les mots. On s’est parlé, mais à un autre endroit, à un endroit qui échappe au langage. »

 

* oeuvre temporaire de Fred Martin installée à l’occasion de Parcours d’Artistes et du festival SuperVliegSuperMouche