Broderies et autres liens

▴ Rencontre avec Stephan Goldrajch

[2017] En travaillant le textile, l’artiste Stephan Goldrajch, se réapproprie de manière contemporaine des techniques artisanales telles que la broderie, la couture et le crochet. Mais l’utilisation de ces supports est pour lui avant tout un prétexte à la rencontre, au tissage de liens. S’il expose aussi ses oeuvres en galeries, c’est sur les places publiques, dans les écoles et les homes pour personnes âgées qu’il aime le plus intervenir. Dans le cadre de RECOmmerce (une série d’interventions artistiques sur la place Saint-Denis), il a par exemple tissé une immense broderie avec les habitants de ce quartier de Forest où il a passé une partie de son enfance. Conversation avec le plasticien qui, lors du Parcours d’Artistes 2018, proposera au BRASS une exposition dans laquelle le public sera invité à broder.

Pourquoi as-tu eu envie de faire évoluer ton travail de la pratique solitaire (notamment la confection de masques) vers le création collective ?

Ce qui m’attire et me fait du bien, c’est de faire des rencontres inattendues. J’ai commencé à m’installer sur les places publiques où des gens brodaient avec moi : on parle, ou on ne parle pas, ou on ne se comprend pas car on ne parle pas la même langue… Mais ce qui est sûr, c’est que la broderie a un côté tellement hypnotique que les gens se permettent de raconter des choses qu’ils ne raconteraient pas autrement.

Qui peut participer et pour combien de temps ?

Tout le monde ! Ça peut être cinq minutes, ou la journée entière. La gestuelle est très simple à apprendre. Ce sont de très grosses aiguilles et du très gros fil. Jusqu’ici, le plus jeune participant avait cinq ans, et la plus âgée, cent-trois ans. Je dessine un motif au préalable, et le fait qu’il n’y ait qu’à suivre le trait leur permet de ne pas avoir cette peur de rater. De plus, le format est tellement énorme que s’ils se trompent, on ne le verra pas. D’autre part, tout est fait avec du fil rouge. À la fin, on ne sait pas dire qui a fait quoi, c’est un véritable travail collectif.

Quel est le motif brodé ?

Le choix de l’image qu’on brode tous ensemble m’a pris du temps. Finalement ce qu’on brode, ce sont des brodeurs et des brodeuses, c’est-à-dire qu’on se brode nous-mêmes en train de broder. Une photographe, Myriam Rispens m’accompagne à chaque fois, elle fait des photos dont je reprends les formes pour dessiner les prochaines toiles et ainsi de suite. Cette mise en abîme, c’est une manière de dire que dans le fond, ce qui est précieux dans ce travail, c’est le moment passé ensemble.

« Ce qui m’intéresse avec la broderie, c’est que tu as besoin de l’autre pour apprendre. Même si aujourd’hui, tu peux regarder des tutoriaux sur Youtube, tu avances toujours mieux quand tu es en contact avec quelqu’un. »

Est-ce que tu apprends aussi, grâce aux gens qui brodent avec toi ?

Bien sûr, sinon je ne le ferais pas ! C’est ce que j’aime dans ces rencontres : apprendre à faire un bon couscous, à fabriquer un masque africain, tout savoir de la musique turque… Sur la place Saint-Denis, il y avait un jeune qui traînait sur un banc, généralement on le regardait d’un mauvais oeil… Il a brodé avec nous, et à chaque fois qu’il revenait nous voir, il nous demandait la permission de mettre de la musique turque. Il nous a raconté qu’il aimait jouer de la clarinette et je lui ai proposé qu’il vienne jouer un morceau le dernier jour, lors de la présentation publique de la broderie. Le dernier jour, il est effectivement venu avec une clarinette, c’était un beau moment.