▴ Entretien avec Mathieu Prengel
[2017] Tout au long de cette saison, le collectif “Laboratoire sauvage de recherches expérimentales” a proposé au BRASS des performances, conférences gesticulées, apéros-rencontres et des ateliers autour d’un sujet a priori réservé aux experts : la finance. Mathieu Prengel vit à Forest depuis presque deux ans, il est venu pour la première fois au BRASS pour assister à l’une de ces soirées. Il raconte l’approche étonnante du collectif qui s’est emparé du sujet.
Avant de venir au BRASS, avais-tu déjà un intérêt pour les questions liées aux marchés financiers ?
Je travaille moi-même dans le milieu de la finance. Je suis en plein dedans, je vois la force de frappe des lobbies bancaires à Bruxelles… Je vois à quel point les députés sont dépassés et à quel point la commission européenne est parfois dépassée.
As-tu l’impression que lors de cette soirée, le public était essentiellement constitué de “gens du milieu”, comme toi ?
Non, justement ! Ce qui était intéressant, c’est qu’une partie du public était certainement là pour l’aspect performance artistique plus que pour le sujet lui-même. Ce qui m’a semblé essentiel dans la démarche du laboratoire “Désorceler la finance”, c’est que ces artistes font voir à des gens non initiés, par des jeux esthétiques, à quel point la finance est partout et comment il est difficile de s’en défaire. S’emparer de cela, montrer comment le système est vicié, s’amuser autour, écrire, chanter, c’est plutôt inattendu. Lorsqu’on vous lance des corn flakes pour illustrer la spéculation sur les matières premières, ça interpelle.
Peux-tu décrire ce que tu as vu ?
Il y avait une ambiance tamisée, on nous invitait à porter des pancartes avec des messages plus ou moins absurdes, entre un rituel et une manifestation. Un moment saugrenu et génial : nous étions invités à nous mettre en cercle et à faire circuler nos
portefeuilles parmi d’illustres inconnus, c’est-à-dire : à nous faire confiance mutuellement. C’était drôle de confier son portefeuille puis de le voir revenir. C’est une façon de se rendre compte que ce n’est pas si grave de se défaire de son portefeuille. Après tout, ce n’est qu’un morceau de tissu.
“Lorsqu’on vous lance des corn flakes pour illustrer la spéculation sur les matières premières, ça interpelle.”
As-tu également vu la conférence gesticulée “Chroniques d’une ex-banquière” lors de cette soirée ?
Oui ! Et je pense qu’il y a dix ans, une telle conférence n’aurait pas suscité autant d’intérêt, car cela nous passait au-dessus : on savait que Wall Street et les banquiers étaient cupides, oui. Mais depuis la crise financière, il y a une prise de conscience. En réalité, ce n’est pas si compliqué de comprendre le fonctionnement du système financier et de voir où sont les failles. Le problème de la finance est qu’elle s’abrite derrière un jargon pseudo-objectif, qui en devient presque ésotérique, et qui ne laisse aucune prise au citoyen qui voudrait s’y intéresser. À l’inverse, une conférence gesticulée permet de voir au-delà des maths.
Que peut apporter, selon toi, le fait que des artistes se saisissent de ces questions qui, comme tu disais, sont a priori très techniques ?
C’est comme lorsque des thèmes difficiles sont abordés au théâtre : l’esclavage, le génocide… On revient dans un champ plus émotionnel, à des questions de vraies valeurs. Lors de cette soirée, on nous montrait bien comment la finance est un monstre dont l’opacité est volontairement entretenue. Et le parallèle que ces artistes ont établi avec les rituels vaudous me semble très juste : devant le fonctionnement des marchés financiers, on a l’impression de voir une sorte de magie noire hors-justice, une bête hors-sol.