WIELS a 10 ans

▴ Rencontre avec Dirk Snauwaert

[2017] À la brasserie Wielemans à Forest, la dernière bière est brassée en 1988. L’usine ferme alors définitivement ses portes, après plus de 100 ans d’existence. Dans les années 2000, la Région, qui devient propriétaire du bâtiment Blomme, retient l’hypothèse d’y créer un grand centre d’art contemporain. La rénovation commence en 2005 et WIELS ouvre ses portes en 2007. Pour marquer son dixième anniversaire, WIELS a initié une exposition de grande envergure, qui aura lieu non seulement dans le Blomme, mais aussi dans deux bâtiments qui faisaient autrefois partie de la brasserie : le BRASS et le Métropole. Le public pourra y voir les œuvres d’environ 45 artistes, contemporains et d’un passé récent. Dirk Snauwaert, directeur de WIELS, assure le commissariat de cette exposition intitulée Le musée absent.

Pouvons-nous revenir 10 ans en arrière, à la veille de la rénovation ?

Il y a 10-12 ans, lorsque nous avons démarré, il y avait une forte polémique autour de la rénovation de l’ancienne brasserie. Le bruit courait que cette opération avait été concoctée par des promoteurs immobiliers soucieux surtout de faire du bénéfice. Beaucoup disaient que nous allions gentrifier le quartier, qu’il serait envahi par les yuppies et les bobos. Finalement, en 10 ans, on n’a pas constaté de changement radical dans le quartier. On peut certes constater un développement d’habitations plus mixtes, mais beaucoup de travail reste à faire pour le dynamiser.

 

Quel est le rôle de WIELS dans le quartier ?

WIELS est un vecteur important d’ une meilleure qualité de vie dans les environs. Nos activités sont ouvertes à tous, avec un médiation soutenue. La salle de brassage est un important lieu de rencontre sociale et le jardin potager, que nous avons mis en place sur le terrain entre WIELS et le BRASS, est un poumon vert fort utilisé. Nous pilotons également une panoplie d’activités, notamment dans le parc de Forest, le festival gratuit pour enfants SuperVliegSuperMouche. Globalement, il règne dans ce quartier un esprit assez ouvert et convivial. On a l’impression, parfois, quand on entend parler du quartier Saint-Antoine, qu’on est face à une sorte de ghetto, ce qui n’est absolument pas le cas. Il est vrai que les échanges entre les gens passent encore trop par des espaces religieux, et c’est aussi pour cela que des lieux sociaux et culturels sont d’importantes passerelles de citoyenneté entre les personnes de différentes origines.

 

L’exposition se déploiera dans 3 bâtiments, dont le Métropole, qui est aujourd’hui à l’abandon.

Oui ! C’est aussi, cela, Bruxelles : il y a des contradictions à tous les coins de rues, le délabrement et le confort cohabitent dans un même bloc. Je trouvais crucial que l’exposition fasse de nouveau le lien entre ces trois bâtiments : le Métropole, le Blomme (bâtiment communément appelé WIELS aujourd’hui), la salle de brassage et la salle des machines (ces deux derniers étant aujourd’hui le bâtiment appelé « BRASS »). Il faut souligner que nous sommes au départ un projet patrimonial : il fallait sauver le Blomme et cela a fonctionné grâce à nos activités artistiques. Cette exposition occupera aussi les salles du BRASS. Même si WIELS paraît très grand, nous manquons en fait d’espace pour des projets d’une ampleur internationale. Or, nous souhaitons faire venir des visiteurs de l’Europe entière. C’est une condition nécessaire pour attirer des artistes importants et pour faire vivre économiquement le projet . La collaboration avec le Kunstenfestivaldesarts, qui installera plusieurs activités dans nos bâtiments, contribuera au retentissement médiatique.

 

À quoi se réfère le titre de l’expositon « Le musée absent » ?

C’est un clin d’œil à Edgar Poe, Baudelaire et surtout à Marcel Broodthaers. Ce titre correspond à un questionnement sur le paysage institutionnel : la plupart des gens parlent du « musée » WIELS , alors qu’en réalité nous n’en sommes pas un. WIELS occupe un élément du patrimoine historique de la Région, mais comme celle-ci n’a pas la compétence de créer des institutions culturelles, elle ne pouvait initier de musée. Les musées, eux, deviennent, à la manière d’Hollywood, une sorte d’industrie à exploiter la culture à travers des blockbusters. Ils préfèrent souvent faire le show avec des artistes renommés que de proposer une lecture approfondie de l’histoire de l’art contemporain en Belgique. On assiste à une dérive événementielle et touristique de la culture : on n’investit plus dans la création future, on préfère retourner en arrière pour exploiter l’héritage patrimonial à des fins touristiques. Nous devons travailler contre cela, pour ne pas vivre tournés vers le passé. Or on oublie trop que le passé, la « Belle époque » de la Belgique est aussi construite sur la misère, celle du Congo par exemple, ou sur l’histoire des ouvriers wallons, flamands ou bruxellois. L’art peut servir à élucider/éclairer ces problématiques; évoquer à quel point il est agréable mais aussi difficile de vivre à son époque.

« Comment ouvrir la question de l’histoire, ce carcan qui paraît déterministe et figé ? L’histoire ne nous impose pas forcément nos actions, elle peut être ouverte. »

 

Par quelles problématiques sera traversée cette exposition ?

Cette exposition posera une question qui est sur le bout des lèvres de beaucoup de gens depuis deux ans, depuis la crise des réfugié.e.s : pourquoi n’entend-on pas les musées ? Pourquoi ne prennent-ils pas position dans ce contexte ? (Je parle des musées des arts, pas ceux de l’immigration ou de l’histoire). On entend le monde du théâtre, celui du cinéma, de la musique. Mais les musées sont absents. Pourtant, les artistes ont souvent travaillé sur les questions d’échanges nord-sud, des influences mutuelles etc. Les musées ont été privatisés et poussés vers le sponsoring, le blockbuster, le spectaculaire ; alors que leurs fonctions initiales sont citoyennes, démocratiques et non-consensuelles. La privatisation engendre le consensuel : on évite la controverse, par peur de perdre son financement. Quand se produit une crise telle que celle que nous vivons, on ne peut plus rester consensuel.

 

Donc, ce seront les migrations et le échanges culturels qui animeront le cœur de cette exposition ?

En fait, l’exposition sera en quelque sorte la suite de celle que nous avons organisée l’année passée pour Mons 2015 : elle mettait au centre la question de ce que le Borinage avait comme avantage sur le reste de l’Europe, ayant été confronté à des vagues de migrations depuis 1840. On y évoquait moins la désindustrialisation que des questions d’intégration, de multiculturalité, de multilinguisme. Ces thématiques sont prépondérantes : elles sont dans les pages de tous les journaux quotidiennement. Elles sont prépondérantes en art contemporain, en politique, et aussi dans notre environnement immédiat. Aussi, cela a du sens de traiter ces thématiques dans le contexte de notre voisinage, un quartier de migration espagnole et italienne au départ, et qui aujourd’hui a encore plus de facettes et nationalités. Ne sommes-nous pas les mieux placés pour aborder ces questions, n’étant pas au Sablon ou au Mont des Arts? Ici, nous sommes quotidiennement face à la réalité d’un quartier populaire et diversifié, loin du Bruxelles des cartes postales et des touristes.

 

Mais les vrais gens voient-ils les expositions ?

Nous faisons des efforts importants pour faire venir les différents publics et nous adresser à tout le monde. J’imagine bien que pour beaucoup de personnes confrontées à des questions de survie au jour le jour, les loisirs et la culture ne sont probablement que secondaires ou tertiaires. Mais nous tenons a améliorer aussi économiquement le quartier en travaillant avec des fournisseurs proches, en recrutant nos équipes logistiques parmi les gens du quartier ; pour qu’il y ait un échange, et pour que l’on sache, en dehors du bâtiment, ce qui s’y passe. Les artistes qui viennent exposer ici sont souvent de très grands noms, mais ce sont aussi des gens normaux, alertes, qui réfléchissent sur les conditions d’aujourd’hui. Rappelons que depuis toujours, ce sont les racines et les figures de l’art dit « mineur » qui nourrissent l’art « académique » ou « élevé ». Ce n’est pas l’Afrique qui a inventé Picasso mais c’est bien Picasso qui s’est inspiré l’héritage africain, par exemple. De la même manière que l’art pop a assimilé la vitalité des classes populaires des États-Unis d’après-guerre.

 

Qui seront les artistes dont les œuvres seront exposées ?

Au WIELS, on pourra voir à la fois des œuvres et des installations. Dans le bâtiment du BRASS seront montrées les installations de cinq ou six artistes. De même dans le Métropole. Nous inviterons des artistes de notre bassin d’échanges artistiques quotidiens, c’est-à-dire la zone entre Paris, Londres, Amsterdam, Cologne et Düsseldorf. Beaucoup d’artistes du monde entier ont des points d’attache dans une de ces villes. Nous voulons montrer que, quel que soit le pays d’origine, nous sommes tous confrontés à des problématiques très similaires. Celles-ci font disparaître les nationalismes, que nous avons intériorisés depuis le XIXème siècle, au point de croire que territoire, langue et culture sont une entité homogène et que tout doit passer par ce filtre. L’académie se retrouve d’ailleurs, à notre époque, face à un problème d’écriture de l’histoire de l’art, basée jusqu’ici sur ce découpage en territoires nationaux. Or aujourd’hui, tout est beaucoup plus perméable et nous sommes dans le « diasporique » : les artistes ne sont pas liés à un seul lieu mais à deux ou trois à la fois. Parfois c’est voulu, parfois c’est involontaire, dû à la guerre ou aux conditions économiques, ou encore… à des histoires d’amour.