▴ Rencontre avec Aziz et Mohamed Bairouk
[2017] Ses fondateurs, les frères Bairouk, la qualifient de « maison de quartier nomade ». L’asbl forestoise Médina, qui occupe le BRASS presque tous les jours avec son école de devoirs, place en ligne de mire l’intégration sociale et le dialogue interculturel. Tour d’horizon, avec deux enfants du quartier devenus travailleurs sociaux, sur les efforts d’une petite équipe qui répond aux réalités observées sur le terrain.
Pouvez-vous nous raconter les débuts de Médina ?
A.B. Il y a 20 ans, Médina était un club sportif d’amis, rue des Alliés. Nous faisions du foot en salle. Il y avait des Espagnols, des Belges, des Italiens, des Marocains… Nous étions suivis par des jeunes supporters qui habitaient le quartier et voulaient aussi participer. Ils ont demandé qu’on leur crée une équipe, ce que nous avons fait. Puis au fil des années, nous avons créé d’autres équipes, pour tous les âges. Aujourd’hui, on compte 11 équipes de foot en salle de 6 à 18 ans : 10 équipes masculines et une féminine.
Comment avez vous étendu votre action des activités sportives vers les activités éducatives ?
A.B. En passant du temps avec les enfants et les jeunes qui font partie de nos équipes, nous avons constaté qu’il y avait d’importantes difficultés dans la scolarité. Nous avons alors lancé une école de devoirs francophone en 2004. Au départ, elle était destinée aux enfants du club de foot mais au fur et à mesure, elle s’est ouverte à tous. En 2005, nous nous sommes finalement constitués en asbl. C’est à partir de ce moment que Medina est réellement devenue une maison de quartier de nomade : nous n’avons pas de lieu fixe, nous fonctionnons sur des partenariats avec d’autres lieux (le BRASS, MIRO…), mais nous faisons véritablement un travail de maison de quartier : nous travaillons, à travers le sport et les activités parascolaires, à une forme d’éducation à la citoyenneté.
Médina a également ouvert, en 2015, une école de devoirs en néerlandais, qui est la première à Bruxelles.
A.B. Cette école de devoirs a lieu au MIRO, rue de Mérode. Des personnes âgées qui fréquentent ce lieu se sont énormément investies dans le projet et prennent très à cœur d’aider des enfants à surmonter les obstacles liés à leur scolarité.
M.B. Cette initiative est également née du constat que certains enfants du club de foot, inscrits dans des écoles néerlandophones, rencontraient beaucoup de difficultés. Nous nous sommes vus, quelques dizaines d’années en arrière, quand nos parents ne pouvaient pas nous aider dans notre parcours scolaire, parce qu’ils ne parlaient pas bien français. Mais beaucoup de personnes veulent que leurs enfants soient le mieux outillés pour l’avenir, et qu’ils soient bilingues. Il y a cette barrière que beaucoup de gens ont rencontrée dans le monde de l’emploi : « Vous êtes diplômé(e), mais vous n’êtes pas bilingue ». Je pense que dans l’inconscient d’une génération entière, cela a laissé des traces.
De quelle manière le travail de l’asbl évolue-t-il ?
A.B. Nous avançons de manière empirique : à chaque fois nous partons de nos expériences. Au départ, nous faisions du travail social, presque sans le savoir, et la réflexion théorique est venue après. Par exemple, les entraîneurs du foot ont constaté que beaucoup d’enfants sont en surpoids, bien davantage qu’à notre époque. Nous nous sommes demandé comment nous pourrions contribuer à changer cela : nous avons mis en place un atelier d’éducation à la santé, avec une diététicienne qui vient tous le samedis sensibiliser un groupe d’enfants à la nourriture saine.
Quelle est l’idée centrale qui guide votre travail d’accompagnement des enfants après l’école ?
M.B. Dans notre projet pédagogique, nous nous inspirons de ce qui se fait en Europe du Nord, et notamment en Finlande. Ces pays sont vraiment en avance en matière d’éducation. Dans nos écoles de devoirs, nous essayons d’adapter une vision holistique (qui prend l’enfant dans toutes ses dimensions) et émancipatrice, sachant qu’en amont, il y a déjà l’école, qui fait un autre travail, plus rigide. Mais l’idée centrale est la suivante : Il n’y a pas que la scolarité, l’enfant peut avoir du talent ailleurs. Il faut juste trouver un moyen de mettre en valeur ce talent (que ce soit dans le sport, dans l’artistique, etc).
En quoi le terme « école des devoirs » n’est-il pas tout à fait juste ?
A.B. Effectivement, ce que nous proposons est plus large. Chaque jour après l’école, nous consacrons une petite heure aux devoirs, et pendant la deuxième heure, nous faisons des activités avec les enfants (bricolage etc.). Nous profitons parfois du jardin entre le BRASS et le WIELS. Par exemple, nous travaillons avec l’apiculteur qui y a ses ruches.
Médina a monté une pièce de théâtre au BRASS, avec les enfants de l’école des devoirs. Sur quel thème ?
M.B. Nous avons monté une pièce sur les 50 ans de l’immigration marocaine en Belgique. C’était exceptionnel de leur faire jouer du théâtre, surtout sur les 50 ans de l’immigration. Eux, des petits fils d’immigrés, ne savaient pas ce qu’était l’immigration ! Cela leur a ouvert les yeux.
Vous avez aussi organisé au BRASS des rencontres de jeunes avec des rappeurs. Que retenez-vous de ces rencontres ?
M.B. Une chose intéressante avec ces rencontres est qu’elles ramènent les jeunes sur terre. Je me souviens par exemple d’un rappeur leur racontant qu’il a dû reprendre des cours de français car il avait honte de proposer des textes à sa maison de disques tellement ils étaient truffés de fautes d’orthographe et écrits à la manière des sms. Les jeunes étaient vraiment surpris quand le rappeur leur expliquait : «Tout ce que tu vois dans les clips, c’est faux. La voiture est de location, les vêtements sont loués, la Ferrari avec laquelle je roule n’est pas à moi. La villa que tu as vue, même dans mes rêves, je ne l’aurai pas.» Cela les remet en question et les ramène à la raison, ils se rendent compte de l’importance d’investir sur l’école. Et c’est cela qui nous mobilise, précisément, dans tout le travail que nous faisons avec les jeunes :
« nous voulons les préparer à l’avenir, leur montrer qu’il n’est ni rose, ni noir ».
leur éviter de basculer dans un extrême. Faire de ces jeunes des citoyens responsables et ouverts aux autre cultures.