Because I’m ABŸ

▴ Rencontre avec les Kastar

[2017] (Billet de Jean Brass)

Je me baladais à l’Abbaye le coeur ouvert à l’inconnu, j’avais envie de dire bonjour à n’importe qui. Ce fut Jonas, ce fut Benoît, ce fut Xavier, ce fut Kevin, bref ce furent les Kastar.

Quand on se balade à l’Abbaye on a beaucoup de chances de tomber sur les Kastar. Au début ils étaient là un peu, maintenant ils sont là presque tous les jours. On les trouve dans un atelier que la commune leur met à disposition, dans le cadre du contrat de quartier Abbaye. Un contrat de quartier, c’est toute une série d’actions qui servent à redynamiser un quartier, à améliorer la qualité de vie des habitants. La porte était ouverte, Benoît était, telle une fée, nimbé d’étincelles, occupé à disquer la structure métallique du char de la dernière Zinneke. La spécialité des Kastar, c’est de récupérer des matériaux, le plus souvent bois et métal, pour leur donner une autre vie. Leur atelier est ouvert aux gens qui ont des projets de fabrication de toutes sortes, ou des besoins de réparation. Eux sont là pour prêter leurs outils, partager leur espace, aider, guider. Comme le dit Jonas, pas si facile de faire les choses soi-même manuellement, quand on vit en ville. Il faut de l’espace, du matériel, et parfois un coup de main.

L’atelier des Kastar, c’est un des exemples des « initiatives d’habitants » financées par ce fameux contrat de quartier, au même titre qu’un journal local, que des séances de cinéma, de conte ou de cris (deux comédiennes criaient sur la place publique des mots déposés par les passants), que la construction d’une “give box” ou de palettes végétalisées.

 

À peine avais-je eu le temps de saluer les Kastar, donc, que nous étions interrompus par un passant, puis par un deuxième. “Vous êtes les célébrités du quartier ? » m’écriai-je. Benoît me raconta que le jardin de l’Abbaye était traversé quotidiennement par un paquet d’anciens soudeurs et d’anciens menuisiers qui ne sont pas avares de leurs conseils. Ah bon ? Et d’où sortent-ils tous ces soudeurs au kilomètre carré ? Parfois de l’usine Audi, semblerait-il. Il y a aussi Claude, un vieux gars qui se promène là-bas au moins deux fois par jour. Il jette toujours un œil à l’intérieur pour voir si un Kastar est au travail. C’est un ancien peintre. Il leur a donné deux échelles, des pots de peinture, des tissus. Quand il y a affluence, Claude les aide à expliquer aux gens comment se dépatouiller de leur projet de construction.

 

La dernière création des Kastar, à partir de matériaux de récup toujours, c’est la Black Perle, conçue spécialement pour le festival SuperVliegSuperMouche. Il s’agit d’un labyrinthe sur un plateau pivotant de quatre mètres de diamètre. Les enfants doivent diriger une bille par le poids de leur corps en se déplaçant sur le plateau.

 

Les ventres gargouillant soudain, nous nous installâmes dans ce grand jardin, “cette parenthèse en forme de U dans la ville”, comme l’appelle Xavier, pour avaler un sandwich thon-mayo. Je leur révélai que j’avais croisé Betty, et qu’elle m’avait parlé de cette grande fête à l’Abbaye le 30 septembre. D’après ce que j’ai compris, cet événement, outre qu’il s’annonce comme une fête pour tout le quartier, réunira tous les acteurs culturels qui occuperont, à terme, le futur pôle culturel de l’Abbaye. Celui-ci doit voir le jour dans le courant des années 2020. Face à ce gigantesque projet de rénovation, les Kastar attendent de voir. Ils sont attachés à ce havre de paix tel quel et craignent la gentrification du quartier. Comme je m’implique dans le projet, je sais que le but, en réalité, c’est tout le contraire : c’est que ce lieu de culture brasse les riches et les pauvres, les gros et les maigres, les fanfarons et les solitaires. En tout cas, selon les Kastar, le lieu a déjà commencé à se modifier, à se réactiver, petit à petit. Je leur annonçai que Betty espérait, à l’occasion de cette journée festive de fin d’été, qu’ils sortent leurs jeux géants de l’atelier. Les Kastar eurent l’air tout à fait partants pour mettre une nouvelle fois à l’épreuve des enfants leur Roule-Maboule, leur Black Perle et leurs jeux d’eau. Ils promirent même de sortir leur bar mobile, un vieux cuistax transformé en comptoir à bières.