Théâtre chez l’habitant·e

▴ Rencontre avec Cécile Cozzolino

[2016] Cécile Cozzolino est l’autrice et la metteuse en scène du spectacle Sans Cercueil pensé pour être joué non pas sur une scène de théâtre, mais dans les appartements d’habitant·e·s.

Comment est né ce spectacle ?

En 2010, je vivais en colocation avec une Mexicaine. Il y avait toujours des Mexicains à la maison, et leur culture m’a passionnée, y compris leur rapport à la mort. Je suis partie pour le Mexique au moment de la fête des morts, à l’automne, avec le projet de récolter de la matière pour un futur spectacle. Les semaines qui ont précédé le jour de la fête, je suis restée dans un petit village, à ne rien faire de mes journées, à part rencontrer des gens. De cette manière, le jour de la fête des morts, j’étais déjà totalement ancrée dans le décor.

 

A quoi ressemblait cette fête et en quoi t’a-t-elle inspirée ?

C’était très festif et exubérant ! Tu manges sur les tombes, tu parles du mort, tu joues de la musique, tu danses… Parce que la mort est tout le temps présente, tu sens que la vie hurle ! Cette expérience m’a vraiment questionnée sur la place de la mort dans notre société. Je voulais écrire un spectacle, mais comment écrire sur la mort, quel aspect traiter ?

 

Quel a été ton processus de travail après ce voyage ?

En rentrant en Europe, j’ai cherché dans tous les sens, à partir de mes notes, avec les comédiens Aurore Lerat et Jean Le Peltier ; j’ai finalement décidé d’aborder l’aspect le plus terre-à-terre de la mort, son aspect pratique et pécuniaire : les obsèques. C’était une manière pour moi d’évoquer la perte de spiritualité dans notre société. Nous vivons dans un monde qui laisse de moins en moins de place aux cérémonies, de moins en moins de place au sacré.

 

Que dirais-tu du ton de la pièce ?

« Pour me poser des questions profondes, et pour trouver l’énergie d’y répondre, j’ai besoin de rire. »

Nous avons traité le sujet avec énormément d’humour. Il y a cette phrase de l’homme de théâtre polonais Tadeusz Kantor, qui est vraiment à la base de mon travail : “Je ne fais pas confiance à l’absence d’humour, au sérieux et à la mine importante, cela indique toujours un manque d’intelligence.”

 

Qu’est-ce qui t’a poussée à proposer une pièce qui se joue non pas dans une salle de spectacle, mais chez les gens ?

L’histoire racontée se passe dans un appartement, alors nous nous sommes dit : Ne construisons pas de décor ! Jouons-le directement dans un appartement, et non dans un théâtre ! Il y a un rapport très intéressant du public au spectacle lorsqu’on joue chez des gens. Tu es chez quelqu’un, tu es d’abord un peu dans ton coin, replié, tu ne peux pas te cacher dans l’anonymat habituel des salles de spectacle. Tout le monde est très proche, tu n’as personne devant ni derrière toi… Et très vite, tu te détends. Le spectateur / la spectactrice fait partie de la scène, iel est dans le décor. À l’issue du spectacle, nous partageons un verre et parlons avec le public. C’est très important, et aussi très nourrissant pour la suite de notre travail.

 

Il y a un après-spectacle, mais aussi un avant-spectacle…

Oui, ce qui se passe avant, avec la personne qui nous accueille chez elle, est aussi primordial. Cela nous amène à nous reposer les questions : C’est quoi, faire du théâtre ? Pour qui le fait-on et comment le fait-on ? Jusqu’ici, nous ne sommes allé.e.s jouer que chez des personnes qui ne vont pas du tout au théâtre ; ces personnes nous ont prêté leur maison en toute simplicité en se disant « ils ont l’air drôles, acceptons de les accueillir ». Les gens se sont à chaque fois montrés très curieux, attentifs à nos répétitions, étonnés, tout d’un coup, de voir nos métiers chez eux. Ils se retrouvaient, par leur regard, par leurs questions, à participer au spectacle sans s’y attendre.