I will play this song once again

▴ Rencontre avec Florent Garnier

[2016] « Une version singulière sur une copie unique ». Tel est le mot d’ordre du label bruxellois I will play this song once again Records. Créé en 2012 par Florent Garnier et Sylvain Chauveau, ce label affirme une volonté d’écouter la musique différemment. Comment ? Il invite des musiciens à rejouer et ré-enregistrer leurs morceaux spécialement pour chaque personne qui leur achète un disque. Il propose aussi, notamment au BRASS, des séances d’écoute collectives et des concerts.

En quatre années, I will play this song once again a édité 18 projets. « Nous avons fait la première sortie avec Peter Broderick, un artiste folk américain qui vit en Irlande. Il s’est lancé avec nous dans cette idée un peu bizarre de ré-enregistrer des chansons pour chaque acheteur. » raconte Florent. Les musiciens choisissent à chaque fois le support – CD, cassette, vinyle le plus souvent – et le nombre de versions uniques qu’ils consentent à enregistrer – généralement une dizaine. Chaque artiste dédie vocalement sa nouvelle version à son futur auditeur : « Salut Jean, je vais jouer maintenant pour toi ».

« Le caractère unique et personnalisé de chaque version redonne de la valeur et de la singularité à la musique enregistrée. »

 

« Le label est né de l’envie de retrouver une qualité d’écoute à une époque où nous sommes noyés dans l’abondance de sons et d’images », explique Florent. Il poursuit : « On réfléchit beaucoup, Sylvain et moi, à la notion d’écoute et de distribution de la musique. Comment proposer quelque chose d’unique pour que l’écoute redevienne un moment privilégié et pas un bruit de fond ? Un jour, on s’est dit : si on fait un disque seulement pour toi, et si tu sais que tu es le seul à l’avoir, tu prendras sans doute le temps de l’écouter, vraiment. ». Le lendemain, Florent et Sylvain avaient créé leur label, qu’ils nommèrent, littéralement « Je jouerai cette chanson une fois encore ».

 

Les enregistrements sont vendus dans le monde entier, de la Belgique au Japon, à prix coûtant : autant dire que les deux amis bûchent davantage sur le projet par appétit pour l’expérimentation que par intérêt financier.

 

Au fil du temps et des rencontres, Florent et Sylvain ont prolongé leur réflexion sur la diffusion de la musique en proposant des concerts et des dispositifs d’écoute originaux, tantôt fixes, tantôt nomades, dans différents lieux culturels bruxellois. « On voulait dérouter les schémas habituels du concert : en montrant par exemple des performances mouvantes, où l’artiste se déplace dans l’espace, pas seulement sur la scène. On l’a fait avec Stranded Horse à l’Atelier 210. » Pendant le Kunstenfestivaldesarts, le label a continué d’expérimenter les conditions d’écoute en organisant, au Beurs, des concerts pour une seule personne. À l’automne, ils ont été invités par le cinéma Galeries lors d’un focus sur le cinéaste Jim Jarmush. Ils proposaient alors une balade sonore dans trois lieux : un bar, un disquaire et un appartement. Le label travaille également avec la librairie Tulitu : des musiciens sont conviés à venir parler de livres qu’ils aiment puis à jouer quelques morceaux dans l’atmosphère intimiste de la librairie.

 

« Réinventer un lien poétique entre le musicien et l’auditeur à l’ère du streaming »

 

Au BRASS, I will play this song once again programme, un dimanche tous les deux mois, une séance d’écoute et un concert. Si le terme « séance d’écoute » peut sembler un peu studieux, il renvoie surtout, selon Sylvain, à un moment collectif de concentration et à une expérience singulière. I will play this song once again records, ou l’art de réinventer un lien poétique entre le musicien et l’auditeur à l’ère du streaming…