Les Gnawas bruxellois

▴ Rencontre avec Saïd Chafik et Naïma Bentaieb

[2017] Joueur de guembri (luth à trois cordes d’Afrique du Nord), Saïd Chafik est le fondateur du groupe de musique gnawa “Diwan Ennass”. Cette formation de cinq musiciens et chanteurs s’est produite plusieurs fois au BRASS et propose des ateliers de percussions avec des jeunes à la place Saint-Denis chaque mercredi. Pour la soirée “Quartier Général” de début d’année, Diwan Ennass revient au BRASS avec de nouvelles compositions et des mélodies entêtantes, presque jusqu’à la transe.

 

À Tanger, Saïd Chafik baigne toute son enfance dans la musique traditionnelle du Sahara, avec un père joueur de banjo. Il apprend le guembri à l’âge de dix ans et sa première rencontre musicale marquante, c’est Abdelkrim, dit Krimo. Krimo est passionné par Dylan, Santana, Cat Stevens et Hendrix. Saïd et Krimo jouent régulièrement ensemble à Tanger, tantôt devant un parterre d’amis, tantôt sur scène. Krimo apporte ses influences occidentales au terreau traditionnel de la musique jouée par Saïd.

 

Quand il arrive en Belgique en 1990, Saïd laisse le guembri au placard, noyé sous les tracas administratifs et son travail à l’usine ; du reste, il ne connaît personne avec qui jouer.

 

En 2003, Saïd retrouve Mohcen à Bruxelles, un chanteur tangérois avec qui il avait joué au Maroc. Puis c’est au tour de Krimo de s’installer en Belgique après quelques années en Espagne. Ils commencent à répéter dans un café forestois, le groupe Diwan Ennass est né. Il sera complété par Hassan et Hamid (chant, percussions). Ali Boulayoune, de la Maison des Jeunes de Forest, leur obtient la possibilité de disposer d’un local de répétitions trois fois par semaine au “chalet”, maisonnette au coeur du Parc de Forest.

Dès le début, les musiciens constituent leur répertoire à partir de reprises de Nass el Ghiwane, un groupe marocain dissident très populaire, militant contre les injustices et les inégalités. La légende dit que le cinéaste Martine Scorsese surnomma Nass el Ghiwane  “Les Rolling Stones de l’Afrique”. Naïma, l’administratrice de Diwan Ennass, explique l’aura de ce groupe au Maroc :« Leurs chansons passent de génération en génération. Elles coulent en nous. »

“Avec cette musique, on est vraiment dans un autre monde.” Naïma Bentaieb

Depuis peu, Saïd et ses acolytes créent également leurs propres compositions. La première chanson qu’ils ont écrite portait sur Gaza. “Une chanson extraordinaire sur la Palestine”, commente Naïma, “ça fait pleurer.” Une autre de leurs compositions a pour objet la révolte qui gronde dans le Rif et la répression du gouvernement marocain. Naïma lit dans cette chanson un message de “ lutte pour les droits de l’homme et pour la dignité”. Saïd évoque également une nouvelle composition “ qui parle des subsahariens, ceux qui voyagent, traversent la mer pour aller en Europe.”

 

Les jours de répétition, lorsqu’il fait beau, les cinq musiciens sortent du « chalet » et répètent dans le parc, au milieu des promeneurs. “Il y a beaucoup de belges qui viennent écouter”, se réjouit Saïd. “Ils ne comprennent pas les paroles, mais cette musique attire, elle bouge leurs sentiments.”

 

Naïma ajoute que cette musique porte quelque chose de l’ordre de la transe.

“ Il existe une danse qu’on appelle Hadra qui accompagne cette musique. Moi par exemple, je danse avec mes cheveux, juste avec mes cheveux qui vont et viennent. (Rire de Saïd) Avec cette musique, on est vraiment dans un autre monde.”